Alors qu’il est de plus en plus difficile de se loger dans l’Embrunais, Airbnb, un des acteurs les plus néfastes de cette crise du logement, vient d’embaucher un ancien collaborateur d’Élisabeth Borne en tant que « responsable des affaires publiques »1. Nous avons voulu en savoir un peu plus sur la multinationale Airbnb…
Cherche T3 non-meublé à l’année
Nous avons voulu comparer les offres de locations traditionnelles avec les offres de locations saisonnières Airbnb sur le secteur d’Embrun, afin de nous faire une idée du nombre de logements aspirés par Airbnb.
Nous avons effectué, le 17 juillet 2022, une recherche de locations sur le site Internet leboncoin.fr et une autre sur le site d’Airbnb, toutes deux dans la ville d’Embrun.
Le bon coin retournait 22 annonces de logements en location, dont :
- 11 à l’année
- 5 à la semaine
- 6 à l’année scolaire (voir encadré «Louer à l’année scolaire, est-ce légal ?»)
La même recherche, effectuée le 18 janvier 2023, retourne 17 résultats, dont :
- 15 locations à l’année
- 1 pour une durée de 3 mois (du 1er avril au 30 juin !!!)
- 1 pour des nuitées
En juillet 2022, parmi les 7 locations non meublées à l’année, il y avait :
- 1 deux pièces
- 5 trois pièces
- 1 quatre pièces
En janvier 2022, parmi les 7 locations non meublées à l’année :
- 1 studio
- 1 deux pièces
- 5 trois pièces
Cela représente une offre très faible de locations non meublées, avec des prix très élevés : compter 450 à 530 € pour un T2 non meublé et 500 à 1000 € pour un T3.
Quant à la recherche Airbnb, elle retourne :
- 204 annonces de logements libres entiers à Embrun pour une semaine au mois de Septembre 2022
- 191 logements pour une semaine en mars 2023 à Embrun
- plus de 700 logements pour une semaine au mois d’octobre 2022 sur l’ensemble de la Communauté de Communes de Serre-Ponçon
- plus de 1 000 logements pour une semaine en mars 2023 sur l’ensemble de la CCSP*
*En fait, nous n’avons pas réussi à connaître le nombre exact de logements disponibles sur Airbnb dans le secteur de Serre-Ponçon. La recherche effectuée sur leur site indique plus de 1000 logements, mais quelle que soit la zone concernée, un maximum de 270 annonces sont réellement consultables.
Sur Embrun, un touriste a le choix entre 200 logements pour passer sa semaine de vacances, et moi qui cherche un T3 non meublé à l’année, je n’ai que 5 annonces entre lesquelles hésiter !
Quelle est la part de résidences secondaires mises sur le marché locatif saisonnier ?
Selon l’INSEE, la Communauté de Communes de Serre-Ponçon compte 18 254 logements en 2019, dont 44, 3% (soit 8083) de résidences principales, 51,1% (soit 9328) de résidences secondaires, et 4,6% (soit 843) de logements vacants.2
En 2019, sur les 16 677 habitants de la CCSP recensés par l’INSEE, 16 220 habitent dans les 8 083 résidences principales. Les 10 491 propriétaires se partagent 5 047 logements, et les 5 175 locataires se répartissent dans 2 751 logements.2
Concernant l’usage des résidences secondaires, nous n’avons pas réussi à trouver la part de résidences en locations occasionnelles (sur Airbnb ou autre). On sait au moins qu’au moins 1000 d’entre elles (sur un total de 9328) sont sur Airbnb. Mais on sait que le bassin touristique de Serre-Ponçon offre 67 000 lits, dont 42% (soit 28 140 lits) sont en résidences secondaires (données fournies par l’Agence de développement des Hautes-Alpes).
51,1% des logements de la Communauté de Communes de Serre-Ponçon sont des résidences secondaires
Afin d’essayer d’imaginer le nombre de résidences secondaires mises sur le marché du logement occasionnel, on peut se risquer à faire un calcul hypothétique. Nous savons2 que le nombre moyen de pièces des résidences principales est de 4. N’ayant pas la même donnée concernant les résidences secondaires, partons du postulat que c’est le même. Donc cela ferait, en moyenne, 3 chambres par résidence secondaire. Supposons maintenant que 6 personnes peuvent dormir dans ces 3 chambres. On pourrait alors en déduire que 28 140 lits / 6 personnes = 4690 résidences secondaires qui seraient sur le marché des logements occasionnels. Bien entendu, ce chiffre est le résultat de nos extrapolations à partir des chiffres officiels dont nous disposons.
Malheureusement, ce chiffre semble réaliste.
Ces 4690 logements en location saisonnière, comparés aux 2751 locations en résidences principales, donnent le vertige. Il serait temps d’agir, d’exiger de nos élus qu’ils mettent en place d’autres systèmes de gestion du parc locatif afin que les propriétaires de résidences secondaires préfèrent louer leur bien à l’année, plutôt qu’à la semaine. Les conséquences de la politique actuelle concernant l’usage des résidences secondaires n’appauvrit pas seulement l’offre locative à l’année, mais crée aussi une flambée des prix locatifs insoutenable pour les résidents à l’année.
Louer à l’année scolaire, est-ce légal ?
Non, ce n’est pas légal !
La loi ALUR qui, entre autres, encadre la location des meublés en tant que résidence principale, stipule que la durée légale d’un bail est de un an. Elle peut être de 9 mois pour un étudiant, ou encore de 1 à 10 mois pour un locataire en mobilité (formation professionnelle, contrat d’apprentissage, stage, mission temporaire…).3, 4
Pourtant, certains propriétaires n’hésitent pas à louer leur bien de septembre à juin à des personnes qui vivent sur le territoire à l’année, qui ne sont ni étudiants, ni en mobilité. Ces pratiques sont illégales et participent à l’appauvrissement de l’offre locative à l’année.
Location saisonnière VS location à l’année
Depuis l’arrivée d’Airbnb et des autres sites de réservation en ligne, le nombre de logements en location à l’année n’a cessé de chuter dans les zones à forte tension (grandes villes et zones touristiques). Ce phénomène est international.
De nombreux articles à travers toute la presse en témoignent5, 6, 7 et dénoncent «l’envers du décor» d’Airbnb, le «désastre Airbnb», la «hausse brutale des prix» qui «pousse les habitants dehors», mais aussi la concurrence déloyale avec les acteurs du marché hôtelier traditionnel.
La rentabilité avant tout
La location saisonnière étant plus rentable qu’à l’année, les propriétaires de résidences secondaires préfèrent louer leurs biens sur des plates-formes de type Airbnb.
Vincent Aulnay, lanceur d’alerte, estime qu’en 2022, Airbnb aurait retiré du marché français l’équivalent d’une année de construction de nouveaux logements d’habitation, soit 450 000 logements.8
Le modèle économique d’Airbnb, de l’évasion fiscale ?
Start-up californienne fondée en 2008, Airbnb fait partie des NATU, (Netflix, Airbnb, Tesla et Uber) qui ont pour stratégie, selon Wikipedia, «la disruption de modèles économiques existants afin d’être plus compétitifs, d’affaiblir la concurrence et de devenir rentables dans une perspective d’investissements».
La filiale d’Airbnb qui pilote les activités internationales hors États-Unis, a installé son siège social en Irlande, pays de l’OCDE qui a le plus faible taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés. Seuls les services marketing de la filiale française Airbnb France sont facturés par Airbnb Ireland, et soumis à l’impôt français. Airbnb France n’a ainsi payé que 204 662 € d’impôts sur les sociétés en France en 2020 (sur un chiffre d’affaire de plus de 16 millions d’€), car les revenus générés par la location touristique en France sont eux soumis à la fiscalité irlandaise7.
Airbnb est la première entreprise mondiale du tourisme par sa capitalisation boursière. Le marché français d’Airbnb est très développé, avec 700 000 annonces dans toute la France en 2022,9 soit plus de 40% du marché de la location de tourisme de courte durée.10
Lutter contre Airbnb, c’est possible !
De plus en plus de municipalités à travers toute la France prennent conscience de l’ampleur du problème Airbnb. Les élus municipaux votent de nouvelles lois afin d’encadrer la mise en location saisonnière des résidences secondaires et de lutter contre l’exclusion des habitants à l’année.
Ces lois peuvent prendre plusieurs formes : quota, compensation, numéro d’enregistrement, ou autorisation de changement d’usage.
Ailleurs, le combat des habitants et des élus contre la voracité d’Airbnb
- Dans les quartiers touristiques de la commune de Paris, depuis le 15 décembre 2021, pour chaque mètre carré d’un local transformé en meublé touristique, le propriétaire doit créer 3 m2 de logement loué à l’année.11
- En 2021, le tribunal judiciaire de Paris a condamné Airbnb Ireland à une amende de 8 millions d’euros pour ne pas avoir retiré de leur site les annonces sans numéro d’enregistrement, alors que la loi les y obligeait depuis 2017.12
- À Saint Malo, on dénombrait 1600 habitants à l’année intra-muros en 2016, 950 en 2019 13. Face à leur contestation, les élus ont voté une loi en juin 2021. Un quota maximal de 12,5% de logements autorisés à la location touristique dans la ville fortifiée a été instauré. En février 2022 le conseil municipal a pu recaler 343 demandes d’autorisation.14
- Au Pays basque, où plus de 16 000 meublés touristiques sont recensés, une zone de forte tension regroupant 24 communes a été déterminée. Depuis le 1er juin 2022, la compensation y est obligatoire. Pour tout logement qui bénéficie d’un changement d’usage vers la location touristique, le propriétaire doit créer un logement à la location classique.15
- À Bordeaux, depuis l’été 2021, toute résidence secondaire louée en meublé de tourisme est soumise à compensation. Le propriétaire doit transformer en logement un local, de taille et de qualité équivalente, au bien qu’il loue.16
- À Montpellier, depuis septembre 2021, les locations de résidences secondaires sont limitées à un bien par foyer fiscal pour une période de six ans.16
- À Marseille, depuis le 16 février 2022, tous les biens loués sur les plates-formes doivent disposer d’un numéro d’enregistrement obligatoire à récupérer en mairie.16