Industrie du ski et climat, les démons du déni nous entraînent jusqu’à l’agonie

Dossier classé dans la catégorie Environnement

Il y a 10 ans, j’écrivais un rapport sur les coûts énergétiques des stations de ski et sur le devenir face au réchauffement. Un maire m’affirmait : « la guerre du réchauffement nous la gagnerons à coup de canons ».

Un jeune directeur(1) de station ambitieux me menaçait de me passer par la fenêtre de son bureau si « je venais encore le faire chier avec ces conneries de climat ». Pour les bâtiments, on pouvait diviser par 5 la consommation d’énergie pour le prix d’un gros téléporté. Ma proposition de plan d’actions pour la vallée, en matière d’économie d’énergies et d’énergies renouvelables, était rejetée par la présidente de la comcom, à l’unanimité me signala-t-elle. Un maire m’affirmait « j’ai des choses sérieuses à faire, je ne peux pas m’occuper de ces conneries d’écolo ». Tous ces brillants et perspicaces dirigeants, dix ans plus tard, sont aux manettes : ils ont tous eu des promotions et financent ou gèrent l’industrie du ski*. Ils sont représentatifs d’un milieu caricatural qui a institué le déni comme mode de pensée, la fuite en avant comme horizon. Dix ans plus tard, le déni a remplacé les certitudes mais les démons du déni nous entraînent jusqu’à l’agonie…le tube de ces 10 ans qui viennent…

Station de V*, un télésiège voit un de ses poteaux bouger, une hypothèse sérieuse, la montagne bouge comme jamais. Le réchauffement ici multiplie les mouvements du sol, présents de tout temps en montagne, la pente est forte. Depuis quelques années se multiplient les cas de villages isolés suite à l’effondrement de routes. Un pan entier d’une montagne qui s’effondre à Serre-Chevalier, aux Jorasses, l’effondrement ici est littéral. Les stations de ski sont construites dans un milieu hostile : froid, chaleur, humidité, neige, la corrosion est forte et de nombreux équipements ou bâtiments sont en mauvais état voire au bord de l’effondrement. L’entretien des routes coûte cher. La date de construction de nombreux bâtiments est de 40 à 50 ans et de nombreux travaux sont nécessaires, ils sont au bout du rouleau comme une vulgaire centrale nucléaire. Face a ces murs de travaux, règne la loi du coup de peinture, du cache misère. Les bâtiments sont des passoires thermiques, chauffés à l’électricité, au grille-pain ou au GPL. Les énergies les plus chères. Les stickers des écogestes sont partout. La peinture verte dégouline de partout.

Malgré ce constat inquiétant, des centaines de millions d’argent public vont vers l’agrandissement des stations, la construction de nouvelles routes, de nouvelles retenues collinaires, de nouveaux téléportés, de nouveaux bâtiments. Des forfaits plus chers et des saisons plus courtes, donc moins de journées de ski sont à prévoir. Moins de journées de ski ça veut dire des forfaits plus chers. Moins de neige veut dire plus de frais pour fabriquer la neige de culture, cela fait encore des forfaits plus chers. Des forfaits plus chers, veut dire l’ exclusion des classes moyennes du ski et des skieurs de proximité. On essaie de se rattraper en faisant venir des touristes de plus en plus loin, qui sont de plus en plus exigeants. On leur construit des parkings souterrains sous les pistes de ski et des jacuzzi partout. La boucle de rétroaction est infernale.

Face à ce mouvement de fond irrésistible, la réponse des « acteurs de la montagne » comme ils aiment se nommer : le déni et la fuite en avant. Il faut faire des sous rapidement avant que tout s’écroule ? Plus de canons à neige, des fonds publics à gogo, et bien sûr compresser les salaires des saisonniers. Difficile, les salaires des saisonniers sont récupérés par les rentiers de l’immobilier qui les essorent.

L’état, la région PACA et la région AURA mettent 1 milliard sur la table.

On va financer n’importe quel chantier sauf s’il est intelligent :par exemple, un gros plan de parkings souterrains, au nom de l’écologie, pour ne plus voir les voitures car cela fait moche. Dans une station, pendant qu’un parking souterrain menace de s’effondrer sous trop de rouille, un autre est construit à côté pour que le riche skieur puisse accéder du parking au nouveau télésiège sans marcher.

De nouveaux bâtiments, à côté de ceux qui sont foutus, fleurissent pour compenser les bâtiments de plus en plus vides.

La bataille de l’eau est en cours, l’objectif étant de pouvoir enneiger 100 % des pistes de manière artificielle.

Le modèle du Qatar est dans la tête de ces dirigeants : clientèle de luxe, déni écologique, mise en servage des saisonniers. Actuellement le manque de saisonniers rend cette tache impossible, mais la crise qui arrive et la réduction des droits au chômage effectueront le travail.

L’assistanat par l’argent public de l’industrie du ski est patent. Sa voracité à croquer dans l’argent de tous pour financer le loisir de 6 % de ses citoyens est choquante. Nous sommes dans une société qui finance avec l’impôt un loisir de riches. Les mêmes qui crient à l’assistanat dès que l’état vient au secours des besoins primaires des plus pauvres! Le RSA ou les allocations chômages financent à peine de quoi manger et se mal loger.

Cette fuite en avant ressemble à une digue de sable face à la marée qui monte.

La crise climatique, va rendre non seulement onéreuse la pratique du ski mais va aussi tout simplement la détériorer et la rendre aléatoire : neige artificielle trop verglacée ou trop molle, orage en plein hiver fermant les remontées, bourrasques de vents. Je suis, je le confesse, un vieux skieur et j’ai toujours adoré ce sport, j’y ai pris beaucoup de plaisir, mais j’avais de la bonne poudreuse, des pistes sauvages et des forfaits cadeaux…. Tout cela semble être du passé : les pistes sont nivelées à coup de bulldozer et sécurisées pour accueillir une couche de neige artificielle bien plus dure. L’ambiance de la montagne en a déjà pris un bon coup : elle est remplie de panneaux publicitaires, de parkings payants. Elle va devenir de plus en plus détestable. Bien loin de la zénitude vantée par les campagnes de pub.

Il est aussi a craindre que ce loisir non pratiqué par 90 % des français devienne impopulaire et voit son image se détériorer fortement. Nous allons passer du « je dis à tout le monde que je vais faire du ski » au ski honteux.

L’industrie touristique est aussi basée sur une part de rêve, de marchandises symboliques. Casser ce rêve et ce symbole peut faire bien autant de mal que le manque de neige. Qui voudra consacrer un mois de salaire pour se faire pigeonner à ski sur de la soupe ou du verglas ?

Face à la catastrophe climatique, la raison et la prévoyance voudraient qu’on envisage un plan décennal de fermeture des stations de basse et de moyenne altitude. Fermer les stations ne veut pas dire fermer les activités sur place : luge, ski de fond, raquettes, balades sont possibles, toucher un peu de fraîcheur, du froid et du soleil vont encore faire recette à condition que cela soit abordable.

Que la construction de nouveaux bâtiments soient stoppée et la rénovation entière de l’existant engagée. Les coûts de chauffage seraient réduits d’un facteur 5. En plus, ces bâtiments sont tout électrique, favorisent la pointe et monopolisent plusieurs réacteurs nucléaires en pointe (ils consomment sur la saison la production annuelle d’une centrale).

Lors de mon étude énergétique, j’avais fait apparaître que les trois quarts de l’enjeu énergétique se situaient dans le déplacement et que les remontées mécaniques consommaient 5 % de la dépense énergétique du skieur : en gros, un skieur de randonnée venant en voiture consomme beaucoup plus qu’un skieur de station venant en train.

Changer la mobilité de vacanciers d’hiver est la bataille à mener : l’éradication de la voiture individuelle est une nécessité et pas impossible. L’exemple de la vallée des Dolomites le montre.

Faire venir des vacanciers d’hiver en transports collectifs au lieu d’enterrer les voitures dans des parkings souterrains, les loger dans des immeubles isolés qui ne restent pas vides 365 jours par an, ne faire du ski que si la neige est là et diversifier les amusements, tout cela est un peu plus raisonnable.

La construction de routes est ici une passion locale qui s’enracine chez certains élus comme l’aboutissement d’une vie réussie. Ces élus sont pathétiques. Leurs rêves de JO et d’autoroutes sont si datés que leurs déclarations devraient être confiées à des paléontologues! Mr CANA…SON… va nous prolonger l’autoroute, lui qui a supprimé le financement de la rénovation des bâtiments du département il y a 10 ans.

Construire des vacances d’hiver économe donc abordable permettrait de conserver un tourisme d’hiver…..

Ce modèle a de gros défauts pour les épées qui nous dirigent : la fin de la grosse promotion immobilière qui tache et de tous les délices qui vont avec, la fin du coûteux privilège du lit froid, la fin des chantiers automobiles, la fin de certaines rentes de situation, la fin d’une époque….

Ce modèle nécessite de sécuriser certaines entreprises menacées par la destruction du climat. Elles sont dépendantes de la météo et risqueront la faillite régulièrement : les paysans d’abord et bien d’autres. Une proposition est la création d’une caisse de solidarité climatique. Comme pour l’agriculture, pour laquelle il n’en existe pas encore, il en faut une pour les saisonniers : un hiver sans neige, les chômeurs dépendants de ces activités seront indemnisés; un hiver profitable, la caisse est abondée par tous. Une partie des fonds publics doivent être redirigés dans cette caisse au lieu de financer des infrastructures qui vont être abandonnées dans quelques années car trop chères à entretenir.

L’utilisation de l’argent public comme morphine d’un système obsolète ne durera pas éternellement. Le réchauffement du climat est le cancer du ski, le déni ne le soignera pas, pas plus que la peinture verte. On ne peut pas guérir du cancer grâce à l’homéopathie. La chimio fait peur, ses effets secondaires sont lourds, mais le malade a des chances de s’en sortir. Le déni est une perte de temps précieux. Si les préconisations faites il y a dix ans avait été mises en place, le virage serait moins douloureux à prendre. Pour l’instant, nos élites dirigeantes sont en tout schuss et les démons du déni nous entraînent jusqu’au bout de l’agonie.

(1) L’inénarrable directeur de station, misogyne, caractériel, anti social a fait fortune en multipliant les chantiers de téléportés et fait la promotion du ski écologique actuellement en se promenant dans sa grosse AUDI hybride.

Article tiré du Blog https://journalidp.blogspot.com/2022/12/les-demons-du-deni-nous-entrainent.html